AINSI S'ETEIGNENT LES ESPECES (GEO 139, SEPTEMBRE 1990) |
Tyrannosaure animé de Nice.jpg |
Walter Alvarez fouillant les falaises de Gubbio en Italie.jpg |
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Calendrier des disparus |
Parmi les millions d'espèces ayant vécu sur terre, 99% sont aujourd'hui éteintes. Souvent, elles ont disparu sous la pression de concurrentes mieux adaptées ou suite à la lente dégradation de leur environnement. D'autres semblent avoir été victimes d'extinctions massives dues à des événements brutaux. Telle est du moins la théorie de Jack Sepkovski et David Raup, paléontologues à l'université de Chicago, qui ont fourni la matière de ce « calendrier des catastrophes ». Les traits rouges verticaux figurent, selon eux, les principaux événements. Ils sont dus, soit aux bouleversements des océans et des continents, soit à des chutes d'objets extraterrestres, soit à des modifications climatiques plus graduelles. Ce schéma rassemblant les données de toute la planète ne rend pas bien compte des disparitions régionales d'espèces inféodées à des petits territoires. On a parfois reproché à Raup et Sepkovski d'avoir accentué le « bruit » de certaines extinctions en groupant les statistiques par familles (dont les espèces auraient disparues graduellement) et en concentrant arbitrairement leurs dates d'extinction en fonction des seules dates et couches géologiques connues. Les bandes de couleur horizontales représentent les groupes sélectionnés pour la statistique. L'épaisseur de la bande indique le nombre de familles par groupe. Les traits rouges verticaux signalent les extinctions en masse. Les zones bleutées figurent la diversité des familles marines. Apparus au précambrien. les animaux unicellulaires puis pluricellulaires ont rapidement proliféré dans les océans cambriens. Les « camemberts » donnent une estimation des pourcentages d'espèces animales qui ont succombé ou survécu aux extinctions. Il y a 600 millions d'années Productrices de récifs minéraux (les stromatolites), les cyanobactéries ou algues bleues ont dominé le monde pendant deux à trois milliards d'années avant de devenir la proie des premiers animaux. Fin de l'Ordovicien Le Gondwana, supercontinent archaïque, dérive vers le pôle Sud durant l'ordovicien, entraînant une durable glaciation. Les premiers poissons survivent. Mais les invertébrés marins, organismes primitifs, et les mollusques bâtisseurs de récifs sont directement frappés. Fin du Dévonien La plupart des poissons et 70% environ des espèces invertébrés du monde périssent. Fin du Permien Lors de la plus terrible extinction de masse de tous les temps, 96 % des espèces disparaissent à la fin du permien. Fin du Trias A la fin du trias, 75 % des espèces d'invertébrés marins s'éteignent ainsi que nombre d'animaux terrestres. Mais deux groupes récemment évolués, dinosaures et mammifères, franchissent cette crise. Fin du Crétacé Un grand nombre de scientifiques américains attribuent les extinctions du KT (crétacé tertiaire) à un impact de météorite. Dinosaures et mollusques en sont les principales victimes. Aujourd'hui Quelques experts estiment a que la Terre traverse une phase d'extinction massive. Les hommes chasseurs des ères glaciaires, puis la destruction des habitats par l'homme moderne en seraient les principaux responsables, Dans la classification zoologique, une famille peut comprendre une seule espèce ou bien plusieurs dizaines, Certaines familles peuvent donc survivre alors qu'elles ont perdu la majorité de leurs espèces. Les disparitions sont beaucoup plus massives que ne le suggèrent ici les graphiques de couleur. En termes d'individus et de biomasse, les pertes sont évidemment plus graves encore. Des populations peuvent cependant se reconstituer à partir de minimes reliquats, si bien que les couches géologiques ne conservent pas toujours la trace du choc. |
Phytosaure |
David Raup et John Sepkovski |
- Styracosaure cornu |
Le phytosaure, était un redoutable prédateur pour les premiers petits dinosaures du trias. Proche des protosuchiens, ancêtres des crocodiles, ce carnassier terrestre s'était éteint environ deux cents millions d'années avant le moderne styracosaure cornu reconstitué dans le Dinosaur National Park d'Alberta, au Canada. La dérive des étoiles causée par la rotation terrestre fait songer ici à une pluie de comètes. Selon David Raup et John Sepkovski (au planétarium de Chicago), ce phénomène pourrait causer des extinctions tous les vingt-six millions d'années, comme le montre la courbe des statistiques de fossiles traitées par ordinateur. |
Stromatolites |
Reconstitution des mers du cambrien (trilobites (en haut), anomalocaris (au centre)) |
David Ward et des stromatolites sous eclairage UV |
Aux premiers temps de la vie, la mer seule était habitée et concernée par les extinctions d'êtres vivants. Pendant plus de 2,5 milliards d'années, les stromatolites, appelés aussi algues bleues ou cyanobactéries, ont bâti dans les océans d'immenses chaînes de récifs. Voilà cinq cents à sept cents millions d'années, ils ont régressé sous la pression des animaux primitifs. Ils subsistent cependant ici, dans les courants rapides à l'est des îles Bahamas, ainsi que dans les eaux très salées d'Australie occidentale. Aux Etats-Unis, sous un éclairage ultraviolet, David Ward, de l'université du Montana, détecte la chlorophylle de ces « fossiles vivants », qui émet alors une fluorescence rose. C'est l'oxygène libéré par ces microplantes qui a causé la mort des premières bactéries anaérobies puis a permis la vie des premiers êtres aérobies. Autres hôtes disparus des océans (ci-dessus), les trilobites (en haut) avaient pour prédateur l'anomalocaris (au centre) qui s'est éteint bien avant eux : cette reconstitution des mers du cambrien, il y a cinq cents millions d'années, a été réalisée à l'université d'Oslo, en Norvège. |
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Mur des ammonites, près de Digne |
Nadine Gomez et le reporter de GEO examinent un oeuf de dinosaure |
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Le paléobiologiste américain Steven Stanley |
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Le paléobiologiste américain Steven Stanley estime que les refroidissements du climat expliquent la plupart des extinctions massives. Mais quelle en est la cause ? II faut aussi comprendre pourquoi la majorité des organismes marins (à droite, en France, le mur des ammonites, près de Digne) se sont éteints en même temps que les dinosaures qui pondaient autour de la montagne de la Sainte-Victoire près d'Aix-en-Provence. La géologue Nadine Gomez et le reporter de GEO examinent un oeuf de dinosaure bien conservé : en bas de la paroi argileuse, l'érosion a dégagé le profil blanchâtre d'une demi-coquille ensevelie après l'éclosion. |
Mammouth reconstitué |
En Colombie-Britannique, le mammouth, espèce anéantie par l'homme, semble revivre dans un diorama au Muséum royal de Victoria. Cet animal n'est qu'une des multiples espèces qui n'ont pas survécu aux premières armes de jet de la préhistoire; à l'âge glaciaire, il hantait en troupeaux les steppes d'Asie, d'Europe et d'Amérique du Nord. |
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Oiseau 'o'o-'a'a des iles Hawaii |
Cape d'apparat du chef hawaiien Kilawa'o |
Le mammouth (voir plus haut) n'est qu'une des multiples espèces qui n'ont pas survécu aux premières armes de jet de la préhistoire; à l'âge glaciaire, il hantait en troupeaux les steppes d'Asie, d'Europe et d'Amérique du Nord. Les rituels politiques et religieux ont également coûté la vie à de nombreux oiseaux : dans les îles Hawaii! le 'o'o-'a'a a été exterminé pour ses plumes qui servaient à confectionner des casques et des capes d'apparat; celle du chef Kilawa'o (ci-contre) représente plus de quatre-vingt mille dépouilles de petits volatiles. Les chiens, cochons et rats introduits par les Polynésiens ont d'ailleurs fait les pires ravages chez les oiseaux des îles le plus souvent incapables de voler. |
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L'archéologue Jean-Simon Pagès et le squelette d'un Ichthyosaurus tenuirostris à bec pointu |
Squelette fossile d'Ichthyosaurus avec son petit et 5 foetus |
En France, à la réserve géologique de Digne, le géologue Jean-Simon Pagès présente au public le squelette d'un Ichthyosaurus tenuirostris à bec pointu, reptile marin mort et fossilisé il y a environ cent quatre-vingts millions d'années. Le chercheur tient une maquette de ce chasseur d'ammonites et de poissons, éteint longtemps avant les dinosaures. Au sud de l'Allemagne, un fossile exhumé et conservé au musée Hauff,à Holzmaden Teck, a permis de savoir que les ichthyosaures mettaient bas comme les mammifères : cette femelle accompagnée d'un petit portait cinq foetus. |
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Evolution possible vers un humanoïdes à peau de lézard |
Phoques malades |
Que seraient devenus les dinosaures s'ils n'avaient été frappés d'extinction? Le paléontologue américain Dale Russell et son collègue Ron Seguin ont imaginé que le Stenonychosaurus inequalus (à l'arrière-plan), un carnivore bipède doté d'un « pouce » opposable, d'un assez gros cerveau et d'yeux frontaux, aurait évolué pour devenir un humanoïde (au premier plan) à peau de lézard. Les primates n'auraient alors pu progresser vers l'Homo sapiens qui est aujourd'hui responsable de maintes extinctions : les phoques de la mer du Nord, entre autres, meurent d'ulcères viraux à cause de la pollution, les composés organochlorés et les métaux lourds affaiblissant leurs défenses immunitaires. |
Paul Coullet nettoie un fossile |
La chasse aux fossiles est parfois une course au trésor Dans le sud de la France, la fossilisation de millions d'ammonites a suscité la naissance d'un sport, d'un art et d'un véritable commerce. Paul Coullet, infirmier à Barrême (Alpes-de-Haute-Provence), refuse cependant de commercialiser ses coquilles dont les plus belles peuvent dépasser la valeur de 10 000 francs. Avec l'accord de la réserve géologique de Digne, il les extirpe dans les falaises et les nettoie pour en faire du matériel scientifique et muséologique : il a ainsi mis au jour quelques espèces inconnues. Dans le même village, son voisin Louis Maurel a créé un musée privé à partir de fossiles collectés naguère dans la montagne ou échangés sur le marché discret des collectionneurs de curiosités. Désormais, les gisements sont protégés par la loi contre le pillage et la contrebande. |
Iain Bishop présente une collection d'animaux frappés d'extinction |
Quand l'arche de Noé devient le tombeau des espèces A Londres, au British Museum, le conservateur Iain Bishop présente une collection d'animaux frappés d'extinction après l'apparition de l'homme. Debout contre un tronc d'arbre, le paresseux géant (mégathérium) vivait jadis en Amérique du Sud; on reconnaît aussi le petit zèbre quagga, disparu d'Afrique au siècle dernier, l'oiseau géant moa, exterminé en Nouvelle-Zélande, le loup marsupial de Tasmanie, le grand pingouin, le wallaby Toolach d'Australie, le dodo de l'île Maurice, ainsi que divers oiseaux d'Amérique. Le zoologiste tient dans ses bras un aye-aye, doux lémurien de Madagascar très menacé et qu'on avait cru éteint jusqu'à sa redécouverte dans les années cinquante. |
Maurice Soutif
Photos de Jonathan Blair
Espagne, les falaises de Zumaya En Espagne, dans les falaises de Zumaya, des dizaines de géologues scrutent la couche KT (crétacé tertiaire) correspondant à la date d'extinction des dinosaures et ammonites : un important excès d'iridium, métal d'origine cosmique, pourrait y témoigner de l'impact d'un objet extra-terrestre ou d'un phénomène volcanolique. |
Georges Meyer et Robert Rocchia Dans la région parisienne, les Français Georges Meyer et Robert Rocchia travaillent à Saclay sur ces 2 hypothèses : Meyer (à gauche), qui tient un échantillon de la couche KT, a trouvé de l'iridium dans les gaz du volcan réunionnais de la Fournaise (à l'arrière-plan); Rocchia, qui présente un morceau de météorite, observe que la couche KT recèle les mêmes "signatures" chimiques que les matériaux cosmiques. |
Poussière de la couche KT vue au microscope à balayage |
Des grains de quartz "choqués" trouvés dans la même couche (KT) révèlent au microscope polarisant les traces d'un impact |
Squelette d'un placerias |
Lystrosaurus (dessin) |
Aux Etats-Unis, dans le parc national de la Forêt pétrifiée (arizona), le moulage du squelette d'un placerias a été replacé parmi les troncs d'arbre fossilisés datant du permien (280 à 230 millions d'années). Cependant, ce reptile mammalien herbivore a survécu à la plus grande extinction massive de tous les temps. De la taille d'une vache, il était herbivore, de même que son prôche parent et contemporain, le lystrosaurus (dessin). Tous deux se nourrissaient sans doute de plantes primitives dépourvues de fleurs : les cryptogames. Les plantes à fleurs ou phanérogames ne sont apparues que plus de cent millions d'années plus tard. Dérivant de quelques lignées préservées des plus petits reptiles mammaliens, les premiers mammifères apparaîtront au Trias (240 à 200 millions d'années), peu après les dinosaures. |